Ni pleurs ni regrets

Le Vendée Globe du skipper Nordiste Thomas Ruyant s’est arrêté à mi-parcours, au sud de la Nouvelle Zélande. Une infortune de mer, imprévisible, imparable, a brutalement, violemment, mis fin aux rêves du skipper du « Souffle du Nord pour Le Projet Imagine ». La course, la compétition, l’aventure, ont en quelques secondes basculé dans un cauchemardesque épisode de survie. Avec un sang froid et une maîtrise étonnante, Thomas est parvenu à maintenir à flot sur plus de 220 milles un voilier en train de se disloquer sous ses pieds. Sonné, incrédule, Thomas a réussi à ramener à bon port son bateau coupé en deux mercredi dernier, évitant un démâtage annoncé et un sauvetage en haute mer. Avec l’aide de son boat captain et ami Laurent Bourguès, venu en toute urgence le rejoindre, il se plonge depuis dans de fastidieux travaux de consolidation du bateau, sain dérivatif à la déception et à l’amertume. Durant 44 jours seul en mer, Thomas Ruyant s’est affirmé comme un marin complet, un compétiteur acharné, et un homme attachant, simple, honnête. Un homme à l’image des « humbles héros » du Projet Imagine et plus largement de tous ceux qui s’engagent, tous ceux que le collectif fédéré par Le Souffle du Nord souhaitait mettre dans la lumière, et dont Thomas a, avec fierté, porté les couleurs de l’Atlantique au Pacifique. Retour sur un mois et demi d’aventures inattendues…

Le chenal des Sables

Avant même le coup de canon, le Vendée Globe a déployé toute sa magie aux yeux de Thomas Ruyant ; « On ne sort pas indemne de cette descente du chenal des Sables. Cela n’a duré qu’un quart d’heure, mais ces 15 minutes m’ont profondément marqué. Ce n’est pas si souvent que nous marins, sommes confrontés à une telle ferveur populaire. Tout cet amour qui vous arrive par vagues ininterrompues ! J’y ai souvent repensé les jours suivants… »

Dégolfage express

« Puis la course est partie, vite, très vite, avec un dégolfage express. Je me suis tout de suite senti à l’aise. J’étais bien, placé comme je l’espérais, non pas en tête, mais dans le bon peloton, avec des marins du calibre de Jean Le Cam ou Yan Eliès. Le rythme a été difficile à suivre, et les meilleurs bateaux ont commencé à creuser les écarts. J’ai pris la mesure que j’étais en piste pour un tour du monde, et je suis entré dans ma course, bien en phase avec les éléments, vigilants à toujours porter la bonne toile, avec les bons réglages. Cette première partie de course en Atlantique a été très agréable, avec de la vitesse, au contact dans les alizés. »

La réalité du Vendée

« Avec l’entrée dans les 40èmes, on touche à la dure réalité du Vendée Globe. C’est une forme de navigation nouvelle qui a commencé. On cherche en permanence à bien se placer avec les systèmes météos qui nous arrivent par derrière. On n’est plus dans un rythme de transats, mais on vit en fonction des dépressions australes. C’est là que les marins d’expérience comme Dick et Le Cam ont fait merveille. Ils ne font pas d’erreur malgré la fatigue, ont les bons réflexes quand une situation inhabituelle surgit. J’ai beaucoup appris en ce qui me concerne, surtout suite à mes erreurs. La fatigue a commencé à se faire sentir avec l’Océan Indien. On est au taquet, mais autrement. On navigue moins toilé, mais tout aussi vite. On gère l’homme et la machine différemment. »

Le désert de l’Indien

« Cet océan entre Afrique et Australie est un désert, une immensité hostile. On a dû se restreindre à un étroit goulet entre la zone des glaces et les zones de hautes pressions descendues de Madagascar. Le froid s’installe et rend tout séjour sur le pont difficile. J’ai fait mes premières erreurs que j’ai payées cash en milles perdus, et en galère pour réparer. Mais j’ai chaque fois trouvé les solutions, bien aidé par les conseils de Laurent (Bourguès). Lattes, chariot, « mule »… les avaries se sont succédées avec la casse du schnorchel et cette effrayante voie d’eau. Cela a été une épreuve moralement très difficile. J’ai su réparer. Et je suis devenu plus contemplatif. J’avais des nuées d’oiseaux qui me suivaient en permanence, albatros et autres. Le ciel y est incomparable, avec des lumières incroyables sous les fronts. J’étais là où je voulais être. Ma fuite vers le nord m’avait mis dans une position similaire à celle de Jean-Pierre Dick après son passage dans le détroit de Bass. Le Pacifique s’annonçait clément, et j’allais m’y régaler avec un bon angle au vent. A ce moment de la course, je pensais que le plus dur était derrière moi. J’avais surmonté mes avaries, et le Pacifique s’offrait à moi, avec ce cap Horn en point d’orgue… C’est là une chose que je regrette le plus aujourd’hui, la frustration d’être privé de ces grands moments dans le Pacifique. »

Un impact traumatisant

« Puis est survenu ce choc, énorme, qui m’a projeté en plein sommeil sur le pied de mât. Les dégâts me sont apparus immédiatement dans toute leur épouvantable ampleur. Mais ce n’était que les prémices de ce qui m’attendait les heures suivantes. Naviguer avec un bateau brisé, en passe de se désintégrer est traumatisant. Je m’y suis attelé, soutenu par l’idée que je n’étais pas loin des secours. Il me suffisait d’appuyer sur le bouton de ma balise, et l’hélicoptère serait apparu. Mais je ne pouvais me résoudre à abandonner le bateau. Il fallait que je le ramène. J’ai vite vu qu’un énorme coup de vent descendait sur moi. J’ai entamé une course contre la montre, contre la dégradation de mon bateau, et contre l’arrivée de la tempête. J’étais à la cape, à sec de toile, et je me suis rendu compte qu’à cette vitesse, la tempête serait vite sur moi et que mon bateau ne résisterait pas. J’ai renvoyé de la toile, en serrant les fesses car mon gréement était mou. Je risquais le démâtage. Je ne pouvais reprendre de la bastaque au risque de plier davantage le bateau. Le vent est rentré, vite et fort. Avant que je ne comprenne, j’avais 50 noeuds. Mon bateau est parti au lof, car mon système de barre était endommagé. J’avais la balise dans les mains, et j’ai été souvent à quelques millimètres de déclencher l’alerte. Le bateau s’est remis droit à 90 degré du vent. Je suis parti au reaching à plus de 15 noeuds, avec l’avant du bateau plein d’eau. Puis, en arrivant sous les côtes de la Nouvelle Zélande, le vent a molli progressivement, 30, puis 20, puis 15 noeuds. J’ai su que c’était gagné. J’ai respiré, j’ai ouvert les yeux et là, comme un signe venu d’ailleurs, le soleil s’est couché derrière les montagnes néo zélandaises. Quel cadeau ! Un albatros est apparu. Je me suis assis et j’ai appelé ma femme. »

Des homards pour cadeau d’accueil

« Les Coast Guards sont arrivés, un peu en mode cow boy, prêts à sauver le monde. Cela m’a fait sourire car je n’avais plus peur, et je savais le gros du danger derrière moi. Ils sont montés à bord, et Stuart a tout pris en charge. Il m’a dit d’aller dormir, et je ne me suis pas fait prier. A mon réveil, nous étions en approche de Bluff et le soleil se levait. Comme la veille, ce fut un moment de grâce absolument somptueux. On s’est amarré sur un bout de ponton au fin fond d’un port de pêche, un peu perdu et déroutant. J’ai mis pied à terre et ai aperçu un bateau de pêche qui approchait. Il venait vers moi et j’ai craint pour mon bateau endommagé. Je suis monté sur le pont pour surveiller sa manœuvre. Arrivé à quelques mètres, un pêcheur est sorti sur le pont du navire, une vraie tête de pirate. Il m’a regardé, puis a balancé un sac sur le pont. Il a porté deux doigts à sa visière est reparti. J’ai regardé dans le sac, il y avait 9 homards vivants ! Merci les Kiwis ! »

Cette aventure me porte

« Depuis deux ans, je rencontre des tas de gens incroyables, grâce à Fred (Bedos), l’ONG Le Projet Imagine et au Souffle du Nord. Je ne les remercierai jamais assez. Ce sont des années très riches dans ma vie. L’aventure m’a porté et continue de me porter. Je prends toute la mesure aujourd’hui de son caractère unique, de l’impact profond qu’elle a sur un grand nombre de personnes et en particulier sur moi. J’espère en avoir été digne sur ce Vendée Globe… Je tiens à dire MERCI à tous nos supporters qui me soutiennent dans les bons et mauvais moments. MERCI d’avoir organisé ce Ch’ti Haka et pour ce rassemblement aujourd’hui à Dunkerque. Et puis MERCI à tous ceux qui s’engagent pour les autres, c’est une grande fierté de vous représenter. »

Et maintenant…

« Laurent Bourguès est arrivé et nous nous sommes immédiatement mis au travail. Non pas pour réparer, car nous n’en avons ni les outils ni les moyens. Mais pour consolider la plateforme dans le but de pouvoir rejoindre le petit port de Dunedine qui permettra de mettre le bateau en totale sécurité. Nous utilisons tout ce qui nous tombe sous la main, bois, contreplaqué pour renforcer la structure. Une fois là-bas, on y verra plus clair et on envisagera la suite. Je pense, j’espère, regagner la France à la fin du mois, pour fêter les 4 ans de mon fils le 1er janvier… »

Ils ont dit :

Sylvain Derreumaux, Responsable de projet du Souffle du Nord : « L’ambition de l’association Le Souffle du Nord est de dynamiser l’engagement solidaire dans notre région. En participant à ce Vendée Globe, nous voulions fédérer un maximum de forces vives autour d’une aventure exceptionnelle, sportive et solidaire. 180 organisations mécènes et plus de 1000 particuliers ont répondu à cet appel en choisissant de rester dans l’ombre pour offrir toute la visibilité du bateau à l’ONG Projet Imagine. A travers cette course, nos actions, nos événements, notre web série… nous avons inspiré de nombreuses personnes pour qu’elles s’engagent au quotidien pour les autres. Notre 2nd objectif était de contribuer à révéler un talent et sur ce plan là, on peut dire que malgré ses difficultés sur Le Vendée Globe, Thomas Ruyant a démontré d’énormes qualités de marin. Il s’est sorti d’un demi Tour du Monde par la grande porte. Evidemment, c’est dur pour tous de se dire que l’on ne verra pas l’arrivée aux Sables d’Olonne et de constater que notre bateau est sérieusement endommagé. Mais depuis quelques jours, il y a un énorme engouement autour de nous, nous recevons des centaines de messages d’encouragements et nos supporters nous soutiennent, merci à eux car ils nous donnent énormément d’énergie ! Notre Chti Haka a été un succès par exemple. L’histoire du Souffle du Nord continue. Rendez-vous le 11 janvier à Roubaix pour une belle soirée « solidaire » autour de Thomas qui fera son retour pour l’occasion. Il sera temps alors de parler du futur. »

Philippe Barbry, Devred, partenaire : « Nous nous sommes engagés suite à une rencontre avec Frédérique Bedos et Le Projet Imagine. L’ONG Projet Imagine a donné du sens à notre projet d’entreprise. Le bateau et Le Souffle du Nord sont arrivés après et je peux dire que nous avons été transportés par cette aventure maritime bourrée de sens et de valeurs. Thomas a été magnifique. Il incarne un homme qui est beau, qui a fait face aux événements de la vie en partageant ses émotions dans les bons et mauvais moments. Thomas a été extrêmement combatif. Même si la fin de son Vendée Globe a été difficile, Thomas a acquis ses lettres de noblesses. C’est très ambivalent comme sentiment. On aurait voulu aller jusqu’au bout avec lui mais en même temps, cette fin a eu beaucoup de caractère. C’est une belle histoire d’homme. « Le Souffle du Nord pour Le Projet Imagine » est très inspirant pour une entreprise comme Devred. La dynamique mise en place est incroyable. »