On continue !

Un Maxi trimaran, grand voile bloquée à hauteur du deuxième ris. 16 800 milles (31 114 km) de route à parcourir ainsi handicapé sur les océans les plus hostiles de la planète. La ville du Cap droit devant, dont les sirènes appellent à l’escale… autant d’axiomes, d’éventualités qui depuis 36 heures et l’avarie de hook, tournent en boucle dans les cœurs et les esprits des 8 femmes de The Famous Project CIC. S’arrêter pour réparer et continuer à naviguer, et c’est un Trophée Jules Verne qui capote. C’est surtout, par-dessus tout, un rêve, une envie, une passion, celle de devenir le premier équipage féminin à boucler un tour du monde sans escale, sans assistance et en maxi multicoque, qui s’éteint. Et ce projet d’une vie, ce Graal nautique inédit, aucune des 8 navigatrices du bord n’est en ce quinzième jour d’aventure, prête à l’abandonner.

Alors, hook ou pas, voilure réduite ou pas, la décision a été unanime, entre pleurs, soupirs et sororité, Alexia (Barrier), Dee (Caffari), Annemieke (Bes), Rebecca (Gmür Hornell), Deborah (Blair), Molly (LaPointe), Támara (Echegoyen) et Stacey (Jackson), les yeux dans les yeux, ont irrévocablement choisi de poursuivre leur aventure. Elles iront au bout ! La longue route continue, malgré les aléas, les inconnues, les doutes. The Famous Project CIC tiendra ses promesses. « Because a dream is a lie if it dont come true » (Bruce Springsteen -The river).

Hook de grand voile récalcitrant

Six heures durant vendredi dernier, tout l’équipage de The Famous Project CIC s’est mobilisé sur le pont du Maxi trimaran IDEC SPORT au ralenti au cœur de l’Atlantique Sud. La cause, un « hook » récalcitrant, coincé, bloqué, empêchant de renvoyer la grand voile à hauteur du 2ème ris. Un « hook », c’est une sorte de crochet qui va prendre la charge de la tension d’un guindant d’une voile pour l’envoyer en tête de mât. On hisse et on bloque la voile en partie haute avec ce crochet. Démontage, inspection, réparation, remontage… au prix de plusieurs ascensions à l’extérieur mais aussi à l’intérieur du mât aile du bateau, chaque équipière a patiemment, assidument pris sa part dans ces tentatives de réparation : « Bex, d’abord. « explique Alexia, « Une volonté incroyable. Un talent brut. Elle est montée à l’intérieur du  mât, à plus de quinze mètres de haut, sur une mer formée, pour aller vérifier la pièce sur laquelle s’accroche le « hook ». Dans la VHF, on l’entendait. À chaque secousse, un gémissement. Là-haut, c’est violent. Et nous, en bas, on avait  mal pour elle. Molly, toujours prête à bricoler. Debs et Annemieke, à chercher, fouiller, trouver le bon matériel. Stacey, avec ses idées, son expérience, son regard. Pendant ce temps-là, Tamara tenait la barre. Dee écoutait, coordonnait, gardait la vision d’ensemble. Et moi, en lien permanent avec l’équipe à terre pour recevoir, croiser et transmettre les informations. »

Alors, pourquoi, comment continuer la route ?

Mais peine perdue ! La grand voile demeurait obstinément bloquée au niveau du deuxième ris. Avec le J3 (trinquette) à l’avant, le maxi trimaran se trouvait alors parfaitement toilé pour les conditions du moment, avec l’arrivée de cette grosse dépression australe et ses vents à près de 40 noeuds. Plein est, le voilier retrouvait une allure régulière et l’équipage remettait à plus tard, sous l’Afrique du Sud, ses espoirs d’éventuelles réparations. Insidieusement pourtant, la petite musique de l’arrêt au stand, voire, de l’abandon, commençait à s’insérer dans les esprits.
« On a pensé que c’était rédhibitoire et on a commencé à se faire à l’idée de devoir s’arrêter. » poursuit Alexia.  « J’ai demandé à Christian Dumard (routeur à terre) de faire des routages à 70 % de notre potentiel, pour évaluer notre capacité à naviguer à allure raisonnable. Il nous a fallu accepter de naviguer sous notre actuelle configuration, avec cette énorme contrainte de devoir arrêter le bateau plusieurs heures à chaque changement de ris. On est aux portes du Grand sud et on s’est dit que ça valait la peine de continuer. On a partagé ces perspectives entre nous, et c’est reparti ! »
L’aventure de The Famous Project CIC continue. Alexia et ses 7 équipières devront réinventer une autre manière de naviguer, parfois sous toilé, avec d’autres angles au vent, d’autres manières de porter leurs voiles d’avant, bref, d’autres difficultés ajoutées à leur titanesque challenge autour du monde. Défi accepté, qui donne encore plus de relief, de piment, de mérite à cette circumnavigation de toutes les découvertes et de toutes les inconnues.

Alexia Barrier….

« C’est que vous n’allez peut-être pas me croire… mais on a failli décider d’arrêter. Ça fait deux jours qu’on y pense. Deux jours qu’on ne pense qu’à ça. Qu’on évalue. Qu’on analyse. Qu’on retourne la question dans tous les sens.
Parce que, dans une grande aventure, la décision la plus difficile à prendre… ce n’est pas de partir. C’est celle d’abandonner.

L’avarie mécanique qui nous touche n’est pas anodine. Elle est sérieuse. Mais elle ne met pas en péril notre sécurité. Elle met en péril la vitesse. Le record. Les chiffres.
Elle ne met pas en péril notre histoire. Ni notre rêve. Ni notre ambition d’écrire une page de notre sport en devenant le premier équipage féminin à boucler un tour du monde sans escale et sans assistance sur un maxi multicoque.

Alors oui… on ira moins vite. Et oui… on est compétitrices. Donc ça pique un peu. Mais ce qu’on vit ici est exceptionnel. Unique. On va moins vite… mais on est ensemble.
Ensemble pour battre nos peurs. Nos doutes. Nos angoisses. Ensemble pour progresser. Ensemble pour vivre le Grand Sud. Et ça, franchement… ça n’a pas de prix.
En tout cas, pas celui de quelques nœuds volés par une pièce mécanique défaillante.
Alors cette décision, on l’a prise. Celle de continuer.
J’ai beaucoup échangé. Avec Christian Dumard. Avec  Brian Thomson aussi. Avec l’équipe à terre. J’ai senti la puissance du soutien. Technique. Humain.
Et puis il y a eu les regards. Celui de mes parents sur WhatsApp. Mes yeux qui ont pleuré ces deux derniers jours, en se demandant si on était folles… ou simplement vivantes.
Et puis on a regardé devant. Avec lucidité. Ça ne va pas être simple. On va encore bricoler. Adapter. Composer.
Mais on y va. Parce qu’on avance encore. Parce que le bateau avance. Parce qu’on fait des milles. Parce qu’on est dans les temps d’une aventure immense.
Parce que personne ne se souviendra d’un chiffre…mais tout le monde se souviendra d’un aboutissement. Parce que, quoi qu’il arrive, on est en train de vivre quelque chose que très peu de gens vivront un jour. Parce que traverser le Sud à 30 nœuds dans 40 nœuds de vent, ça ne s’apprend pas dans un manuel. Parce que passer le Cap Horn en équipage féminin, sur un trimaran, ça ne s’efface pas.
Parce que, si un jour il faut s’arrêter, on saura le faire en conscience.
Mais pas maintenant. Pas ici. »