Maladies féminines : un retard médical révélateur d’inégalités persistantes

A l’occasion de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, il est essentiel de rappeler que les inégalités dont elles sont victimes dans le domaine médical restent profondes : retards de diagnostic, symptômes sous-estimés, tabous persistants… autant de signaux que leurs besoins spécifiques ont longtemps été négligés. Résultat : si leur espérance de vie dépasse celle des hommes, elles passent moins d’années en bonne santé.

C’est dans ce contexte que le Fonds de dotation Nos Épaules et Vos Ailes, en collaboration avec GPMA, l’assureur Generali et La Médicale, a lancé un nouvel appel à projets dans le cadre de l’opération de mécénat Atout Soleil, intitulée : « Maladies féminines : informer, soigner, soutenir ». Il vise à accompagner des associations qui œuvrent partout en France pour mieux informer sur les maladies féminines, favoriser l’accès aux soins et soutenir la reconstruction physique, psychologique et professionnelle après la maladie.

Décryptage d’un enjeu de santé publique essentiel, encore trop souvent sous-estimé.

Une recherche médicale longtemps centrée sur les hommes

Comme le souligne la neurobiologiste Catherine Vidal, directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur de Paris et membre du comité d’éthique de l’Inserm, la médecine s’est longtemps construite sur un modèle unique : celui du corps masculin . Ce biais structurel a profondément influencé la recherche biomédicale. Il a ainsi fallu attendre 1998 pour que l’anatomie complète du clitoris soit enfin décrite, et 2005 pour obtenir les premières IRM du sexe féminin.

Pendant longtemps, les traitements et protocoles médicaux ont été conçus principalement à partir de données recueillies sur des hommes. Ces résultats, souvent inadaptés à la physiologie féminine, ont contribué à un biais durable dans la recherche. Cela s’explique en partie par le fait que les femmes ont longtemps été largement exclues des essais cliniques. Deux idées fausses ont justifié cette exclusion : la conviction erronée que les différences entre les sexes se limitaient aux organes reproducteurs, et la volonté — certes bien intentionnée — de protéger d’éventuelles grossesses.

Un tournant majeur a eu lieu en 1993, lorsque les National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis ont été contraints par la loi d’inclure des femmes dans tous les essais cliniques financés par des fonds publics. La situation s’est ainsi nettement améliorée ces dernières années. D’après les registres de l’OMS et du NIH, toutes pathologies et phases d’essais confondues, la participation des femmes est passée de 35 % en 1995 à 58 % en 2018. Mais cette parité apparente cache encore de fortes disparités selon les domaines de recherche. Les femmes demeurent par exemple sous-représentées dans les études sur l’insuffisance cardiaque, certains cancers, la dépression, la douleur, le sida .

Dans leur enquête Les Négligées , les journalistes Solenne Le Hen et Marie-Morgane Le Moël expliquent que pendant longtemps, les médicaments ont été testés surtout sur des hommes, puis prescrits aux femmes sans ajustement. Pourtant, le corps féminin réagit différemment : il absorbe les substances actives plus vite et les élimine plus lentement. Résultat, les femmes risquent jusqu’à 50 % d’effets secondaires en plus. Enfin, l’enquête pointe un autre indicateur alarmant : à peine 1 % des financements mondiaux dédiés à la recherche et à l’innovation en santé sont consacrés spécifiquement à la santé des femmes. Un chiffre qui illustre l’ampleur du retard encore à combler.

Des diagnostics plus lents, des soins inadaptés

Les politiques de santé concernant les femmes ont longtemps été centrées sur la sphère sexuelle et reproductive, au détriment d’autres pathologies. Cette approche a contribué à renforcer des stéréotypes, influençant la manière dont les symptômes féminins sont interprétés.

Un exemple marquant : les maladies cardiovasculaires. Elles sont la première cause de mortalité chez les femmes — 204 décès par jour contre 176 chez les hommes, selon la Fondation pour la recherche médicale. Pourtant, les symptômes féminins restent mal reconnus. Fatigue, anxiété ou douleurs thoraciques sont trop souvent attribués à des troubles psychologiques, là où des signes identiques chez les hommes évoquent immédiatement une urgence cardiaque.

D’après une étude de l’Université McGill, seulement 29 % des femmes suspectées d’infarctus reçoivent un électrocardiogramme dans les 10 minutes suivant leur arrivée à l’hôpital, contre 38 % des hommes . À l’hôpital Lariboisière, à Paris, les femmes appellent le SAMU en moyenne 15 minutes plus tard que les hommes, souvent parce qu’elles doutent de la gravité de leurs symptômes .

Le manque d’information joue aussi un rôle. Selon une enquête IFOP de 2023, seules 46 % des femmes savent que les maladies cardiovasculaires sont leur première cause de mortalité, devant le cancer du sein. Chez les 18-25 ans, une sur deux pense encore, à tort, qu’elles touchent surtout les hommes .

La santé mentale, grande oubliée du système de soins

Les troubles de la santé mentale demeurent l’un des angles morts de notre système de santé, alors même qu’elle touche de manière disproportionnée les femmes. Selon Santé publique France, les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à souffrir de dépression, trois fois plus exposées aux troubles anxieux, et deux fois plus susceptibles de faire une tentative de suicide. La maternité constitue un moment particulièrement vulnérable : 17 % des femmes souffrent de dépression post-partum, 5 % déclarent des pensées suicidaires, et une femme sur dix reste en détresse psychique deux mois après l’accouchement.

Tout au long de leur vie, de nombreuses femmes subissent des violences — notamment conjugales — aux conséquences psychiques lourdes. Selon le Centre national de ressources et de résilience, les femmes victimes de violences conjugales présentent un risque sept fois plus élevé de développer un trouble de stress post-traumatique. Même dans la sphère professionnelle, l’écart est frappant : 6 % des femmes déclarent une souffrance psychique liée au travail, contre 3 % des hommes.

La précarité économique, qui touche plus souvent les femmes, aggrave encore la situation. En France, 4,9 millions de femmes vivent sous le seuil de pauvreté, contre 4,3 millions d’hommes. Elles représentent près de 78 % des emplois à temps partiel, souvent associés à des conditions de travail instables : horaires fragmentés, bas salaires, pénibilité accrue. Comme l’a rappelé Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm, lors du lancement de la chaire annuelle de santé publique du Collège de France : « Le genre, mais aussi la position sociale, produisent des inégalités en matière
de santé. »

La précarité a un impact direct sur l’accès aux soins. Près des deux tiers des personnes qui y renoncent sont des femmes, en grande partie à cause de contraintes financières et de la pénurie de professionnels de santé dans certaines zones . L’exemple de la gynécologie est particulièrement parlant : selon l’UFC-Que Choisir, un quart des femmes vivent dans un désert médical gynécologique. En treize ans, le nombre de gynécologues a chuté de 65 %. Onze départements n’en comptent plus aucun, et dans 73 autres, on en recense moins de six pour 100 000 habitants.

Le prix Atout Soleil : soutenir les associations engagées pour la santé des femmes

Les associations jouent un rôle crucial dans l’amélioration de la santé des femmes. Présentes sur le terrain, elles accompagnent les patientes au quotidien, lèvent le voile sur des pathologies longtemps ignorées, et interpellent les pouvoirs publics pour faire évoluer les politiques de santé. L’exemple de l’endométriose en est emblématique. Cette maladie chronique, qui touche une femme sur dix, n’a été reconnue comme pathologie organique qu’à la fin des années 1990. Il a fallu attendre 2019 pour qu’un plan national soit mis en place, et 2022 pour qu’elle soit enfin inscrite sur la liste des affections de longue durée (ALD) — une avancée rendue possible grâce à la mobilisation associative.

Pour amplifier cette dynamique, l’opération de mécénat Atout Soleil a lancé un appel à projets intitulé : « Maladies féminines : informer, soigner, soutenir ». Son objectif : faire progresser la santé des femmes en valorisant les initiatives de terrain. Pour sa 18ème édition, le prix Atout Soleil récompensera des associations engagées sur tout le territoire, qui œuvrent à chaque étape du parcours de soin — avant, pendant et après la maladie et qui sensibilisent le plus grand nombre pour faire reconnaître les spécificités des maladies féminines et garantir une véritable égalité de traitement.

Car la santé des femmes ne concerne pas seulement les femmes : elle engage toute la société. Investir dans ce domaine, c’est agir pour plus d’égalité, mais aussi pour l’efficacité des politiques publiques : selon le Forum économique mondial, mieux prendre en compte les spécificités féminines — par exemple en matière d’endométriose ou de ménopause — permettrait de favoriser le retour à l’emploi des femmes et d’améliorer la performance globale des systèmes de santé. À l’échelle mondiale, cela pourrait représenter un gain de 130 milliards de dollars dans le PIB d’ici 2040 .

Parce que la santé des femmes concerne toute la société, elle mérite des réponses structurelles et ambitieuses. Cette Journée internationale d’action pour la santé des femmes doit être l’occasion de repenser nos pratiques pour que leurs besoins spécifiques soient pleinement intégrés dans la recherche, les soins et les politiques de santé.

À vos agendas :

04/07/2025 : Clôture de l’appel à projets
23/09/2025 : Délibération du jury
02/12/2025 : Cérémonie de remise des prix à Paris

En savoir plus – retrouvez le détail de cet appel à projets et les critères de sélection : ici

[1] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, (2020), « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », décembre.
[2] Ibid 1.
[3] Marie-Morgane Le Moël et Solenne Le Hen. (2025), « Les négligées. Enquête au cœur du business de la santé des femmes », HarperCollins, février.
[4] Ibid 1
[5] Assemblée nationale, 2023, « Rapport d’information sur la santé mentale des femmes », juillet.
[6] Fédération française de cardiologie, 2023, « Cœur et femmes », Baromètre IFOP, avril 2023.
[7] Santé publique France, 2023, « Prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois postpartum : données de l’enquête nationale périnatale 2021 en France hexagonale », septembre.
[8] La production sociale des inégalités de santé | Collège de France
[9] Fédération des acteurs de la solidarité, 2024, « Santé des femmes en situation de précarité », mars.
[10] UFC-Que Choisir, 2022, « Fracture sanitaire : des constats dramatiques imposant des réformes d’ampleur », novembre.